Il y a des livres qui dérangent. Si l'exclusion m'était contée de Liliane Gabel, livre qu'elle aurait mieux fait de titrer Sans Difficultés Financières, comme elle en a eu, un temps, l'intention est de ceux-là.
Ce n'est pas un livre très bien écrit, il n'est pas non plus très bien construit, mais ces défauts, qui auraient sans doute interdit sa publication chez d'autres éditeurs (ou, qui auraient, plus probablement poussé à une réécriture), sont ce qui en font, justement, l'intérêt : l'auteur est restée telle qu'en elle-même avec ses souvenirs, ses colères, son amertume.
Liliane Gabel raconte ses trois ans de travail dans un centre du Samu Social, boulevard Richard Lenoir. Elle le fait avec peu de complaisance, n'ayant pas été reconduite dans ses fonctions à la fin de son contrat pour des raisons qu'elle ne dit pas mais que l'on devine : il ne doit pas être tous les jours facile de travailler avec elle.
Succession de portraits de SDF et de scènes de la vie dans un centre d'accueil ce livre donne une image impitoyable de cet univers, de la violence des SDF entre eux, de leur violence à l'égard des travailleurs sociaux qui s'occupent d'eux, mais également de la violence des travailleurs sociaux dont le livre trace un portrait qui n'est certainement pas celui qu'ils choisiraient spontanément.
Le SAMU social ne sort pas indemne de récit. Son fonctionnement laisse manifestement à désirer. A plusieurs reprises, l'auteur suggère des formes de clientélisme (mieux vaut connaître la directrice pour avoir un lit…). On apprend qu'il rejette régulièrement à la rue les plus démunis qui se comportent de manière violente. L'alcool est présent partout, chez les SDF mais aussi chez les travailleurs sociaux que plusieurs scènes nous montrent mesquins, pas très compétents, pas vraiment charitables, capables de harcèlement à l'égard de leurs collègues voire de vols. Quant à Xavier Emmanuelli, on ne sait plus très bien s'il faut l'admirer ou le juger sévèrement (dans une scène que raconte l'auteur, la nouvelle directrice générale dit à ses collaborateurs qu'il n'est pas aussi gâteux qu'on veut bien le dire).
Mais ce livre vaut surtout par ce qu'il nous dit de ces hommes et femmes qui vivent dans la rue, de la manière dont ils changent de nom, se créent des histoires de vie pour échapper à la leur, dont ils souffrent (scène insoutenable de ce SDF qui sent la mort et dont les jambes se gangrènent), dont ils ont perdu le contact avec les autres (ils ne reconnaissent pas ceux qui les ont aidés en dehors de leur milieu de travail), dont ils sont sans gêne, dont ils se rendent insupportables avec ceux-là même qui veulent les aider au point de susciter des réponses violentes (verbales ou physiques) de la part des mieux disposés à leur égard.
On y voit à l'oeuvre ce processus de déqualification sociale qu'a décrit Serge Paugam, processus qui les amène à être d'autant plus exigeants avec ceux qui leur apportent soutien qu'ils n'ont rien à donner en échange.
Ce livre se termine par une scène sur le Canal Saint-Martin, scène mélancolique, sous la pluie, comme l'est ce récit qui ne laisse en définitive guère d'espoir.
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