Le PS est malade, comme chacun sait. Et ce ne sont pas les premières décisions de Martine Aubry qui vont le remettre d'aplomb. Pour ne prendre que cet exemple, ce n'est pas la nomination de Benoit Hamon, l'un des plus vigoureux partisans du non à la constitution européenne, comme porte-parole du PS à la veille d'élections européennes qui s'annoncent difficiles pour le PS qui va arranger les choses. On imagine déjà les tiraillements, les contradictions, le flou sur les positions d'un parti qui ne s'est jamais remis de ce conflit interne. Les premières déclarations sur l'autorisation administratives de licenciement ne sont certainement pas de bon augure. Qui peut vraiment croire que c'est là le sérieux et le travail que nous promet Martine Aubry?
Mais la crise du PS n'est pas celle de ce seul parti. Elle s'inscrit dans une crise plus profonde des gauches liée à l'effritement de deux des piliers de cette famille politique depuis la fin de la seconde guerre mondiale :
- la confiance dans la bienveillance de l'Etat,
- une critique sociale basée sur la lutte des salariés pour l'amélioration de leur condition.
La confiance dans la bienveillance de l'Etat a nourri pendant des décennies les luttes de la gauche. Il s'agissait de créer un ensemble de mesures collectives pour protéger les salariés et leurs familles. On demandait à l'Etat de s'occuper de la santé, de l'éducation, de la protection sociale… Cette confiance n'a pas disparu, mais le contexte a changé. La gauche a gagné toutes ces batailles. L'Etat a pris en charge, dans nos pays, une multitude de fonctions (santé, éducation, protection contre la vieillesse, la pauvreté…) et il l'a plutôt bien fait, mais au temps des conquêtes a succédé celui de l'optimisation. Tous ces systèmes ont mûri, vieilli et il s'agit aujourd'hui de les optimiser, de corriger les défauts apparus avec le temps. C'est, évidemment, un travail beaucoup moins exaltant, qui met les gouvernants qui s'y collent en opposition avec tous ceux qui profitent de ces défauts ou qui craignent qu'on jette le bébé avec l'eau du bain. Ce travail d'optimisation est nécessaire, les dirigeants de gauche qui ont été aux affaires le savent, mais il est difficile à la gauche de le dire sans brouiller son message traditionnel et sans susciter l'exaspération de tous ceux qui travaillent dans les institutions en charge de ces systèmes publics et qui prennent toutes ces propositions d'optimisation comme autant de critiques de leur travail et d'attaques contre leur statut.
Quant à la critique sociale, elle a changé de nature. Pendant des décennies, elle s'est concentrée sur les combats au sein des entreprises pour une amélioration des rémunérations et des conditions de travail des salariés. Elle était alors menée par les organisations syndicales dans les entreprises et relayée, au plan politique, par les partis, et d'abord par le PC qui entretenait des liens étroits avec la CGT, premier syndicat ouvrier. Mais c'est, depuis des années, bien fini. Des années de chômage ont "calmé" les ardeurs militantes des salariés dont le combat est devenu défensif. Il ne s'agissait plus d'obtenir des avancées sociales mais de lutter contre la casse sociale, contre les fermetures d'usines, les délocalisations, les licenciements collectifs, la montée de la précarité. Les syndicats ont perdu beaucoup de leur influence.
Les liens étroits entre les travailleurs menacés de perdre leur emploi et les partis politiques de gauche se sont défaits sur une question centrale : celle du protectionnisme. Les salariés qui veulent conserver un emploi menacé n'ont qu'un souci : éloigner la concurrence et le mieux pour cela est bien évidemment de fermer les frontières. Mais dans une économie ouverte, prôner le protectionnisme, c'est condamner au chômage tous ceux qui profitent de l'ouverture, qui travaillent dans des entreprises qui vivent des marchés à l'exportation. La classe salariée s'est divisée. Les partis politiques de gauche ont choisi l'ouverture, et ils ont eu raison, mais ils ont, ce faisant, ouvert une voie royale au Front National, seul parti à s'être déclaré ouvertement favorable au protectionnisme. Sa quasi disparition est une bonne nouvelle, mais elle ne signifie pas que ses électeurs vont revenir à gauche.
La critique sociale n'a pas disparu, mais elle s'est déplacée, elle a changée de champ, elle a quitté le monde des entreprises et du travail pour se concentrer sur de nouveaux terrains. Portée par des associations, des ONG, elle s'est tournée vers la protection de l'environnement, des espèces en voie de disparition, vers la lutte pour l'amélioration des conditions de ceux qui sont en marge, travailleurs sans papiers, mal logés… Au sein même des entreprises, de nouvelles problématiques sont apparues, imposées de l'extérieur, comme la lutte contre le harcèlement ou contre les disparités salariales entre hommes et femmes.
Les partis de gauche n'ont pas su récupérer cette nouvelle contestation, laissant aux verts, aux écologistes une porte large ouverte. Les verts n'ont pas su construire en France une alternative politique crédible, mais cet échec ne doit pas masquer l'essentiel : les militants ont déserté les partis de gauche pour investir leur énergie et leur colère ailleurs, dans d'autres combats. On m'a reproché mon indulgence à l'égard de Ségolène Royal. Elle vient de ce que je crois qu'elle a compris cela et qu'elle a essayé, d'abord avec la démocratie participative puis avec son projet de cotisation à 20€, de ramener au PS des militants qui étaient allés ailleurs, dans des associations.
La crise du PS ne se résume pas à un combat de chefs, de candidates à l'élection présidentielle. Elle vient de cette crise d'une gauche qui a vu s'effriter deux des piliers de son idéologie. Si le PS réussit encore à gagner des élections, notamment au niveau local, dans les villes et les régions, c'est qu'il a su conserver, maintenir, construire dans ces villes et régions une offre politique qui convient aux classes moyennes qui y vit, qui souhaite plus d'équipements collectifs et de solidarité.
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