Les réactions multiples et toutes dans le même sens (entre protestations et incompréhension) au choix d'une jeune femme voilée par le NPA comme candidate aux prochaines régionales m'a surpris. On ne peut, en effet, accuser la plupart de ceux qui se sont exprimés d'anti-islamisme primaire ou de démagogie. Ce qui me fait penser que l'expression publique de l'Islam se heurte à une triple opposition qui s'est pour l'occasion retrouvée de manière improbable :
- les anti-islamistes classiques qui n'aiment pas les étrangers,
- les féministes qui assimilent le voile (et plus encore la burqa) à une forme d'oppression,
- les ultra-laïcs qui ne supportent pas de voir dans l'espace public l'expression de la moindre foi religieuse.
Je laisserai un instant de coté les premiers, cible trop facile, pour revenir sur les deux autres. Commençons par les féministes. Je comprends parfaitement leur malaise et il est vrai que l'idée même qu'un mari puisse imposer à son épouse, un frère à ses soeurs, un père à ses filles une toilette a de quoi choquer. Et lorsque c'est le cas, il faut effectivement les aider à se libérer de cette oppression. Mais on sait que certaines de ces jeunes femmes (combien, je l'ignore faute de statistiques sur le sujet, mais leur nombre n'est, semble-t-il, pas négligeable) choisissent délibérément, volontairement, souvent contre leur famille ces toilettes. Je dis contre leur famille parce que, on a tendance à l'oublier, l'immigration est aussi un rejet du milieu d'origine et beaucoup d'immigrés ont choisi la France pour, justement, échapper à des traditions et coutumes jugées trop contraignantes. Pourquoi le font-elles? Par souci religieux, pour certaines, pour se protéger de regards masculins jugés trop intrusifs pour d'autres. Il y a quelques années, Ségolène Royal s'était élevée contre le port du string. Les mêmes qui protestent aujourd'hui contre le voile avaient ri, s'étaient moqué, comme si le fait de montrer un bout de ses fesses était plus "catholique", "casher" ou "orthodoxe" (on ne sait plus comment dire), plus convenable en un mot, que cacher ses cheveux. Le port d'un voile peut aussi être une marque de pudeur. Et je ne vois pas en quoi ce serait moins respectable qu'une pointe d'exhibitionisme? La pudeur serait-elle une valeur interdite, maudite dans notre société post-moderne?
C'est l'idée même que des préférences religieuses puissent s'exprimer dans l'espace public (dans la rue, à l'Assemblée nationale…) qui gêne les laïcs. Mais, à l'inverse de ce qu'ils disent souvent cet intégrisme est récent. Dans ma jeunesse (pas si lointaine) les prêtres se promenaient en soutane sans que personne n'y trouve à redire, les bonnes soeurs se promenaient librement dans les rues et les fonctionnaires pouvaient exprimer leurs opinions et préférences idéologiques sans crainte. Je me souviens d'avoir eu, dans un grand lycée parisien, un professeur, Henri Agel, qui affichait son catholicisme, se promenait avec une croix. Nous l'adorions tout autant qu'un autre professeur, dont j'ai oublié le nom, qui ne cachait pas son appartenance au parti communiste. Le seul qui fut un peu discret sur ses opinions, un professeur d'histoire, Georges Lefranc avait signé la charte du travail de Pétain… Quant à nos parents, ils n'y trouvaient rien à redire et savaient que nous ferions le tri entre toutes ces opinions contradictoires.
Notre paysage s'est enrichi de kippas et de voiles. Ni plus ni moins. Est-ce gênant? Ce le serait si ces porteurs de signes religieux faisaient du prosélytisme, voulaient nous empêcher de manger du porc, de nous promener en string… mais ce n'est pas le cas. Alors… pourquoi empêcher un juif de porter une kippa s'il pense qu'il respecte mieux ainsi le Dieu qu'il vénère? pourquoi empêcher une musulmane de porter un voile si elle pense ainsi respecter une obligation religieuse.
J'ajouterai qu'à tant se fixer sur l'Islam et ses signes extérieurs portés par des jeunes femmes qui partagent l'essentiel de nos valeurs on ne voit pas que d'autres immigrés, venus de l'Est de l'Europe, de Roumanie ou de Pologne, immigrés invisibles, introduisent dans notre société un autre poison autrement dangereux : l'antisémitisme et le racisme d'avant-guerre. Je ne dis pas cela à la légère : j'ai eu récemment plusieurs conversations avec des sans-papiers venus de ces pays qui, fiers de leur blanchitude, tiennent des propos auprès desquels ceux de Georges Frèche ne sont que roupie de sansonnet. Et ils le font gentiment, naturellement, sans pour autant partager le moins du monde les fantasmes du Front National. S'il y a un combat à mener, c'est bien celui-ci : leur rappeler, leur enseigner que l'anti-racisme est une valeur de notre société et plus encore depuis qu'elle est devenue multi-culturelle.
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