dimanche, octobre 14, 2007

Nicolas Sarkozy, la presse et le divorce du couple présidentiel

La vulgate actuelle veut que la presse française soit aux ordres de Sarkozy. C'est ce que l'on dit à gauche, mais aussi dans les média étrangers qui s'étonnent que nos journaux soient si discrets sur les mésaventures conjugales du couple présidentiel. "Les ennuis de couple du président français ne sont plus du domaine de la sphère privée. Pourtant, la presse française ne sait toujours pas comment les aborder. Une question d’éthique ? Pas seulement. Les patrons de presse sont tous amis avec le président. Tant que l’info n’est pas officielle, elle n’existe pas." écrit par exemple la Tribune de Genève qui reprend une explication que l'on entend souvent sur les amitiés présidentielles et sur leur influence sur le contenu des journaux.

Tout cela est bien évidemment plausible et, cependant… je ne suis pas sûr que ce contrôle de la presse soit si serré qu'on veut bien le dire. J'en veux pour preuve le comportement de la presse ces derniers jours à l'occasion de l'inauguration de la Cité de l'Immigration. On sait qu'aucun ministre n'était présent, que personne, au sommet de l'Etat ne souhaitait brouiller un peu plus le discours du gouvernement sur l'immigration alors qu'Hortefeux et Mariani se heurtent à une opposition inattendue. Pourtant, plusieurs titres, Le Monde, Libération, Le Parisien n'ont pas hésité à faire leurs titres sur cet événement et ont profité de l'occasion pour publier des papiers soulignant les aspects positifs de l'immigration et les crimes commis par la France pendant la période coloniale. Ils l'ont fait en toute liberté et, bien loin de se plier à la politique de communication des pouvoirs publics, ils ont ainsi marqué, de manière à peine subliminale, leur opposition à l'instrumentalisation de la question de l'immigration. En d'autres mots, ils sont, malgré toutes les amitiés, libres.

C'est au regard de cette liberté qu'il faut évaluer leur silence sur les difficultés conjugales du couple présidentiel. Ils n'en ont pas parlé, laissant les rumeurs circonscrites au milieu étroit qui se vante d'être mieux informé que la moyenne de ce qui se passe en haut lieu.

Ils peuvent l'avoir fait par respect de la vie privée. Vu le comportement de certains, on peut en douter, mais ce n'est pas une hypothèse à rejeter complètement. Ils ont fait de même avec le couple Hollande-Royal pendant la campagne présidentielle alors que les bruits de rupture couraient tout Paris.

Ils peuvent également l'avoir fait par respect de leur métier : lorsque l'on travaille au Monde ou au Figaro, on est mal à l'aise devant des informations qui relèvent plus de la presse people que de la presse d'opinion. Cette hypothèse renvoie à la hiérarchie des informations que les journalistes pratiquent spontanément : le fait divers a moins de prestige que l'information politique et le scandale financier (façon Medef et Gautier Salagnac) plus d'intérêt que les histoires d'alcôve (réservées à la presse spécialisée).

Ils peuvent encore l'avoir fait par prudence : le souvenir du fiasco toulousain est encore dans toutes les mémoires. Ou, par sympathie : le Président est aussi "l'ami" des journalistes qui l'accompagnent et cette "amitié" qu'il entretient constamment peut inciter un rédacteur à une certaine discrétion.

Leur silence peut, enfin, tenir à un problème d'organisation. Les journalistes susceptibles de traiter cette information dans les grands journaux n'ont pas accès à l'Elysée, et ceux qui y ont accès ne considèrent pas cette information comme relevant de leur champ de compétence.

J'ajouterai, pour conclure, que toutes les explications par l'amitié me paraissent fragiles. On imagine mal à un patron de presse prendre le risque d'un conflit avec ses journalistes au motif que son amitié avec le Président lui interdirait de publier dans ses colonnes un article déplaisant pour celui-ci. Les journalistes ont pris ces dernières années assez de poids dans la presse pour ne pas être soumis longtemps à pareilles pressions.

PS Cela ne veut évidemment pas dire que les propriétaires des journaux sont sans pouvoir sur leurs journalistes. Difficile de ne pas rapprocher l'activisme du Figaro dans l'affaire EADS des intérêts du groupe Dassault dans l'affaire. Mais donner à un journaliste des informations sur un sujet qui peut lui permettre de faire des papiers repris par toute la presse et lui demander de ne pas parler d'un divorce pour cause d'amitié sont deux choses différentes.

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