Cette énième grève étudiante ne porte évidemment pas sur la réforme Pécresse qui intéresse l’administration des universités, éventuellement quelques enseignants mais peu les étudiants comme le montrent leurs slogans sur le Medef, la privatisation qui n’ont pas grand chose à voir avec les projets du gouvernement. En témoigne, d’ailleurs, l’attitude de l’Unef qui suit, aujourd’hui, ses troupes mais qui ne trouvait, hier, peu à redire à cette réforme.
Alors, pourquoi ces mouvements, ces blocages de faculté? Il faut, je crois, faire la part de la déprime chronique, je devrais dire dépression des étudiants qui y travaillent. Une déprime liée à un système particulièrement pervers.
On parle tout le temps de sélection que l’on présente comme un chiffon rouge capable de mettre les universités à feu et à sang, mais 40% des étudiants sont aujourd’hui dans des filières sélectives (classes préparatoires, grandes écoles, médecine, IUT…) d’autant plus exigeantes que la sélection n’est pas généralisée. Il n’est pas d’étudiant qui ait quelques bonnes notes qui n’ait tenté d’entrer dans l’une de ces filières. Et c’est seulement parce qu’il a été retoqué qu’il va à l’université.
Aussi déplaisant que cela puisse paraître de le dire, les étudiants qui fréquentent aujourd’hui les facs ont été, le plus souvent, refusés dans les filières les plus sélectives. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient nuls (on est d'autant plus facilement retoqués que les filières sélectives sont inutilement sélectives), mais ils ont connu un premier échec et vivent la fac comme un pis-aller. Ils s’y retrouvent dans un milieu très particulier :
- avec des enseignants qui n’attendent rien d’étudiants qu’ils jugent en privé sévèrement (quand ils ne les méprisent pas tout simplement), qui ne leur demandent pas grand chose, ce qui est la meilleure manière de leur faire savoir qu’ils ne valent pas grand chose. Ce qui est vrai des enseignants l’est également de l’administration qui ne se soucie guère de vérifier la présence aux cours. Vient qui veut, c’est la liberté, mais cette liberté que l’on vous accorde sans qu’on l’ait demandée crée de l’anxiété ;
- avec un système d’orientation inexistant qui amène les étudiants à choisir au petit bonheur la chance des disciplines qui souvent les déçoivent (qui leur a, par exemple, dit que les études de psychologie comportaient des enseignements de statistiques, que la philosophie est une discipline très technique, que l’on ne peut être un bon sociologue si on ne maîtrise pas les techniques quantitatives?). D’où des changements d’orientation fréquents qui se traduisent par des pertes de temps,
- avec des camarades qui travaillent pour payer leurs études, ce qui est la recette assurée pour tout rater, et ses études (dans lesquelles on n’investit pas puisque l’on est fatigué d’avoir travaillé) et sa carrière professionnelle (puisque le travail n’est qu’un pis-aller pendant que l’on fait ses études).
Dans ce contexte d’abattement et de mélancolie, toute réforme est vécue comme un risque de voir se dégrader une situation dont chacun sent bien qu’elle n’est pas viable et qu’elle ne mène à rien. D’où des mouvements de protestation qui prennent une tournure d’autant plus vive que seuls des comportements “extrêmes”, comme aujourd’hui le blocage des facs, peuvent donner vie à des revendications qui passeraient autrement complètement inaperçues (des grèves d’étudiants sans blocage seraient vite assimilées à une montée de l’absentéisme).
Les seuls à s’en sortir sont les militants qui trouvent dans ces événements l’occasion de faire l’apprentissage de la politique (des techniques de la politique) et de construire les réseaux qui leur seront utiles plus tard dans leur carrière (combien de leaders des mouvements étudiants, de gauche comme de droite, qui se retrouvent quelques mois plus tard dans des positions avantageuses dans les partis politiques, dans les lieux de pouvoir, dans les médias?).
On parle beaucoup de réformes de l’enseignement supérieur, mais elles devraient d’abord tenter de lutter contre cette dépression chronique des étudiants.
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