Nicolas Sarkozy s'attaque dés son retour de vacances aux bonus. Bataille nécessaire quoique probablement perdue s'il reste seul à la mener. La place de Paris sera peut-être formidablement éthique, mais comme les départements spécialisés de la plupart des banques françaises sont installés à Londres avec des personnels sous contrat de travail anglais, la portée du geste présidentiel risque d'être faible.
Elle risque d'autant plus de l'être que la banque est l'une des rares secteur dont certaines activités fonctionnent sur des marchés du travail vraiment globaux. Tant que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ne prendront pas des mesures pour lutter contre ces modes de rémunération, il ne se passera probablement pas grand chose.
Son offensive pourrait cependant être utile si elle conduisait à une réflexion sur les politiques salariales que tous les grandes entreprises ont retenues depuis bientôt trente ans pour résoudre deux difficultés apparues dans les années 80 :
- une compétition accrue, liée à l'ouverture des marchés, qui les a amenées les moyens d'assurer une plus grande flexibilité de leur masse salariale,
- un ralentissement des gains de productivité malgré la révolution information (d'où les propos sur le paradoxe de la productivité).
L'individualisation des salaires et leur indexation sur les résultats de l'entreprise (son chiffre d'affaires, le cours de ses actions…) ont été l'un des éléments majeurs de la réponse apportée à ces deux difficultés (aux coté de quelques autres, comme l'externalisation, la sous-traitance, l'utilisation de contrats de travail précaires). Les bonus ne sont que l'une des expressions de cette politique dont il serait temps de tirer les conséquences qui n'ont pas toutes été heureuses.
Ces politiques de rémunération ont contribué à creuser les inégalités entre salariés (entre ceux qui percevaient des bonus extravagants au nom de leurs performances et ceux qui n'en percevaient pas…). Elles ont réduit le poids des salaires dans les coûts des entreprises (encore qu'il serait à vérifier que les bonus, stock-options et autres "benefits" qui n'entrent pas dans le calcul des masses salariales ne coûtent pas très cher). Elles ont échoué à améliorer la productivité pour un motif tout simple : la productivité n'est jamais une affaire individuelle.
Il sera intéressant de suivre dans les mois qui viennent les discussions que les spécialistes de ces questions, les directeurs des ressources humaines et les consultants qui les conseillent, auront sur ces sujets. On peut parier que les résistances à tout changement dont ils sont les premiers bénéficiaires seront fortes.
2 commentaires:
'Elles ont échoué à améliorer la productivité pour un motif tout simple : la productivité n'est jamais une affaire individuelle.'
Pourriez-vous citer vos sources?- il semble que dans le milieu bancaire, l'adoption d'un mode rémunération variable augmente la productivité des opérateurs (cf les résultats des banques de financement dans les dernières années).
Ne pensez-vous pas aussi que dans le cas d'un trader dit spéculatif on est affaire a une véritable productivité individuelle?
Je reste surpris par tous ces discours sur les salaires et leur taxation alors même que la France est aussi un pays de rentiers ou un discours équivalent sur la taxation de l'héritage n'est pas du tout a l'ordre du jour.
N'est-il pas tout simplement dérangeant, choquant et surtout incompréhensible pour certains de voir des jeunes a peine trentenaires gagner autant? Le fait que ces jeunes soient 'banquiers' (ce qui reste a voir tant certaines de ces activités restent abstraites et bien loin de l'activité de banque classique) ajoute une composante de 'haine' qui rappelle les positions de l'église contre les premiers banquiers au moyen age.
Pour beaucoup l'enrichissement trop vif du au maniement de l'argent reste suspect.
Mieux vaut donc hériter bien sagement d'un petite fortune, c'est dans l'ordre des choses. Les enfants de ces traders auront probablement moins de soucis a ce faire...
Je faisais, dans mon post, moins allusion aux bonus des traders qu'aux politiques salariales mises en place dans les entreprises ces vingt dernières années qui font un large appel à l'individualisation des rémunérations et à leur indexation sur les performances. Ces politiques n'ont pas prouvé qu'elles amélioraient de manière significative la productivité. La preuve : les spécialistes continuent d'en débattre. la principale difficulté étant d'isoler ce qui ressort, dans les gains de productivité observés, de ces politiques, et de ce qui relève d'autres causes : technologie, organisation…
Pour ce qui est des traders :
- je ne crois pas, d'abord, que le concept de productivité soit, dans leur cas, vraiment pertinent : la question est plutôt celle des risques qu'ils sont prêts à prendre. La promesse de bonus élevés les incite probablement à en prendre de plus grands, d'où de meilleures performances quand tout va bien et de plus grandes catastrophes quand tout va mal (on a dans la littérature des textes qui montrent cela pour les dirigeants),
- le marché du travail des traders est l'un des rares qui soit vraiment international, ce qui favorise la concurrence entre employeurs et leur permet de faire monter les prix,
- les traders sont souvent les mieux payés dans les banques : les dirigeants sont dans ces établissements rarement les mieux payés. Les salaires mirifiques que l'on donne à quelques uns tend à tirer vers le haut ceux des dirigeants qui n'acceptent pas d'être moins bien rémunérés. Ils jouent le rôle du lapin dans les courses de lièvre : ils font monter les rémunérations des dirigeants mais de ceux-là seulement.
Est-il choquant que des jeunes gens de trente ans gagnent autant? Sans doute. Pourquoi? Je l'ignore, mais j'imagine que notre sens de l'équité est de multiples fois choqué : ils sont jeunes, il n'est pas sûr qu'ils le méritent vraiment, on identifie mal leur contribution au bien-être collectif. Et l'on sait que l'équité est l'un des plus puissants moteurs sociaux.
Peut-on les comparer aux banquiers du Moyen-Age ou aux affameurs du XVIIème siècle? Personne n'a parlé de les pendre haut et court ou de les envoyer au bûcher, on veut simplement réguler leurs rémunérations. Ce n'est tout de même pas la même chose.
Quant aux rentiers… Sont-ils plus nombreux en France qu'ailleurs? Ce serait à vérifier, même s'il est vrai que notre système incite plus à transmettre le patrimoine acquis qu'à l'investir dans des fondations ou dans des activités charitables. Mais il y a aussi beaucoup de rentiers aux Etats-Unis.
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