On parle sans cesse, du coté du gouvernement, de réformes. Mais de manière assez étrange, certaines de celles qu'il nous annonce avec le plus de fanfare sont à peu près vides ou très en dessous de ce que l'on pouvait attendre (comme celles sur l'université, l'enseignement primaire ou les régimes spéciaux qui n'a toujours pas abouti), quand d'autres, dont on parle moins, peuvent avoir des conséquences lourdes et inattendues pour la société française. Je pense, notamment, à la série de mesures que le gouvernement a commencé et va continuer de prendre pour lutter contre le recul du pouvoir d'achat.
On sait qu'il a commencé par réduire le coût des heures supplémentaires, on sait également qu'il envisage de transformer les mécanismes d'épargne forcée que sont la participation et l'intéressement en bonus ou prime annuelle. On peut craindre que ces mesures aient un effet médiocre sur le pouvoir d'achat :
- les premiers résultats sur les heures supplémentaires sont décevants (540 millions d'€ au dernier trimestre 2007 quand F.Fillon annonçait que le coût annuel pour l'Etat serait de 4 à 5 milliards) et comment pourrait-il en être autrement, alors que les chefs d'entreprise ne demandent à leurs salariés des heures supplémentaires que lorsqu'ils en ont besoin?
- le déblocage de la participation et de l'intéressement risque de se heurter à deux obstacles : il a déjà été réalisé deux fois ces dernières années, nombre de salariés qui avaient besoin de ce déblocage (pour s'acheter un appartement…) en ont déjà profité ; utiliser l'argent de l'épargne pour ses dépenses courantes (ce à quoi revient en fait le projet gouvernemental) peut mettre mal à l'aise des salariés qui ne veulent pas "manger" un capital constitué discrètement sans le moindre effort (sur ce sujet, voir ma chronique sur Aligre).
Mais elles pourraient avoir un effet significatif et inattendu sur le fonctionnement du marché du travail. Il s'agit, dans les deux cas, de mesures qui donnent plus de flexibilité à la masse salariale. Le salarié fait des heures supplémentaires s'il y a du travail et il perçoit des primes et bonus si l'entreprise a réalisé des bénéfices. Cette part variable pourrait être importante, avoisiner les 10% du revenu salarial. L'intéressement moyen est de 1200€, le montant moyen de la participation est du même ordre. Soit à peu de choses près, le salaire brut moyen : 2440€.
Ces mesures devraient être bien accueillies par le MEDEF tant la flexibilité de la masse salariale est une préoccupation constante des dirigeants d'entreprises.
Ils peuvent l'obtenir de plusieurs manières :
- en ajustant les effectifs, en licenciant dans les périodes difficiles et en recrutant dans les périodes fastes. Cette méthode suppose un marché du travail actif et l'absence d'obstacles aux licenciements,
- en jouant de la précarité : l'intérim, l'externalisation, le temps partiel ont été autant de méthodes utilisées par les entreprises depuis le début des années 70 pour contenir et maîtriser la masse salariale (l'externalisation et l'intérim permettent tout à la fois 1) de désolidariser (c'est-à-dire diminuer) les rémunérations des salariés occupant des emplois qui ne relèvent pas du coeur de métier de l'entreprise (gardiennage, transports, logistique…) de celles données aux salariés sans lesquels l'entreprise ne pourrait pas fonctionner et 2) d'ajuster en permanence les effectifs aux besoins (on se sépare des intérimaires quand la charge de travail diminue),
- en jouant sur les rémunérations, en les rendant flexibles, en hausse lorsque l'entreprise se porte bien, en baisse lorsqu'elle rencontre des difficultés.
C'est, avec les réformes en cours, vers ce modèle que nous nous dirigeons. Modèle qui n'a rien de nouveau. C'est celui qui dominait dans les années 70 en Corée, à Singapour. Il a des avantages : il évite les licenciements dans les périodes difficiles et permet aux entreprises de proposer à leurs collaborateurs des emplois à vie à peu de frais, mais il a aussi des inconvénients : il supprime tout amortisseur et accélère les crises puisque les salariés aux revenus amoindris consomment moins.
Je ne suis pas certain que ceux qui travaillent aujourd'hui sur des solutions au problème du pouvoir d'achat aient envisagé ces conséquences, mais sans le savoir (et c'est en ce sens que je parle de réformes invisibles) ils pourraient très bien modifier en profondeur le fonctionnement du marché du travail et avec lui la gestion des entreprises. Avec des effets positifs (réduction de la précarité, modification de l'attitude à l'égard de l'emploi) et sans doute d'autres qui le sont moins.
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