jeudi, septembre 24, 2009

"Je ne prononce plus mon nom au téléphone…"

Le dérapage de Brice Hortefeux n'en finit pas de faire des vagues. Il a amené Le Monde à demander à un de ses journalistes d'origine maghrébine, Mustapha Kessous, de raconter son quotidien, ces mille humiliations qu'il subit régulièrement parce qu'il s'appelle Mustapha plutôt que Claude ou Robert Cela fait bien longtemps que je ne prononce plus mon prénom quand je me présente au téléphone).

On savait les poids des discriminations dans le logement ou le travail, mais quoi qu'ayant longuement travaillé sur ce sujet, je n'avais pas mesuré combien elles pouvaient être diffuses. Mustapha Kessous raconte comment on le prend, lorsqu'il va interviewer quelqu'un au nom du Monde, pour un videur de boite de nuit, un vigile, un chauffeur… Comment, lors d'un examen dans une école de journalisme, on lui pose ce qu'il appelle gentiment de "drôles de questions." Ces humiliations ne sont pas le fait des seuls petits blancs comme on a trop tendance à le croire, mais de tous, des intellectuels, de membres de la classe moyenne…

Ce témoignage est accablant. Il met en évidence la différence entre ceux qui se trouvent victimes de ces petites humiliations et ceux qui y échappent. Il suffit, cependant, d'en avoir été une ou deux fois victime pour mesurer ce que cela peut produire de colère et, plus encore, d'interrogations sur ce que l'on est, sur ce que l'on vaut ("suis-je donc si insignifiant que l'on puisse me prendre pour un vigile?").

Ce témoignage révèle aussi la situation particulièrement difficile de ceux qui ont joué pleinement le jeu, qui ont un emploi et une position sociale, qui ont, en un mot, réussi. Ils ne peuvent utiliser aucun des mécanismes de défense qui protègent les jeunes des banlieues (vivre dans un milieu où l'on est majoritaire, faire des discriminations une excuse pour ses échecs ou une arme contre le système…) et sont plus encore que les plus démunis victimes de ces humiliations à répétition. Et, de ce point de vue, le fait d'être journaliste, de faire un métier qui expose sans cesse à voir de nouveaux visages, à rencontrer de nouveaux interlocuteurs, complique les choses. Mieux vaut, sans doute, être informaticien dans une grande entreprise.

A lire Mustapha Kessous, on mesure mieux la gravité des propos de Hortefeux. S'ils sont, comme je l'ai dit ailleurs, plus le signe d'une arrogance de classe que du racisme, ils contribuent à entretenir ces discriminations, ces petites humiliations qui font souffrir des gens qui ne le méritent pas. Pour ce seul motif, Nicolas Sarkozy a eu tort de ne pas forcer Hortefeux à la démission. Cela aurait montré qu'il y a des propos qui ne sont pas tolérables en République, même présentés sous forme de blague.

3 commentaires:

Aurel a dit…

Comme vous le dites si bien Sarkozy a eu tort de ne pas forcer Hortefeux à la démission. Il aurait du le faire. J'espère qu'il fera avant qu'il soit trop tard!

Communard a dit…

Chacun ses réflexes, les blancs sont chez vous "des petits blancs", les vigiles sont pour Kessous "insignifiants".

Bellâm a dit…

Merci d'avoir rebondi sur ce témoignage. J'en ai lu, j'en ai entendu mais, et je ne me l'explique pas vraiment, celui de ce journaliste m'a vraiment fait touché du doigt ce que ça peut etre.

Les petites humiliations ne sont pas quotidiennes mais elles planent en permanence. Elles peuvent surgir à n'importe quel moment; Et quoi qu'on en dise, ça a un impact sur son rapport au monde.

Et c'est précisément ça qui est usant. Le rappel permanent de ses origines malgré les compétences, malgré toute la bonne volonté pour s'intégrer.

Comme une tache que l'on n'a pas choisi...

La majorité de mon entourage a traité l'affaire Hortefeux par dessus la jambe. Navrée mais c'est excessivement grave qu'à ce stade de responsabilité politique et de pouvoir, on ne sache pas se conduire dignement préférant un trait d'humour gras à la volonté de montrer l'exemple.

C'est ca le probleme globalement avec le gouvernement de Sarkozy. On fait des doigts, on traite les femmes de salopes, on fait des blagues douteuses, on évoque la délicatesse des CRS, on fait EXPRES (parce que ce n'était pas un lapsus, le président est avocat, je le rappelle, il savait parfaitement ce qu'il faisait.. impact sur la population ?)d'utiliser le mot coupable. Cela montre aux français et aux françaises que bah... c'est pas bien grave tout ca.

Tout cela contribue à un climat dans le pays qui tend vers l'abandon de toutes les valeurs qui ont tiré la France vers le haut, sans que par dessus le marché (Honte à la gauche) il y ait une opposition digne de ce nom, contrairement à avant.

Si. C'est grave...