Parce qu'elle passionne des deux cotés de l'Atlantique, l'affaire DSK met, mieux que bien d'autres, en évidence combien les sociétés française et américaine sont différentes.
Dans un billet d'hier, Arthur Goldhammer disait combien les propos d'Alain Finkelkraut et Vincent Peillon sur le plateau de Mots Croisés lui paraissaient extravagantes. Il parle, à propos du premier de sénilité et s'interroge sur le bon sens du second. Comme beaucoup de ce coté-ci de l'Atlantique, j'avais trouvé l'un et l'autre plutôt pertinents et en tout cas, tout à fait raisonnables. C'est la force de sa réaction plus que la différence d'opinion qui me surprend.
Sur un tout autre plan, la lecture d'une certaine presse populaire montre combien le réflexe raciste qui consiste à attribuer une communauté les défauts d'un de ses membres reste naturel chez beaucoup d'Américains : DSK est coupable de viol (l'est-il d'ailleurs? nul ne le sait, mais peu importe), il est Français, tous les Français sont donc des violeurs en puissance. S'il s'agissait des propos d'un quelconque farfelu sur internet, il ne conviendrait pas d'en tenir compte, mais ce raisonnement est tenu par l'éditorialiste du New-York-Post, un journal tiré à 660 000 exemplaires. Presse de caniveau? Sans doute. Mais avec beaucoup de lecteurs que lire pareilles insanités ne gêne pas plus que cela. Je ne veux pas dire que tous les new-yorkais sont d'indécrottables racistes, ce serait commettre l'erreur que les journalistes du Post commettent eux-mêmes, mais nous n'avons probablement pas la même sensibilité au racisme.
Autre exemple : la saga de la recherche d'un appartement par les Strauss-Kahn. La manière dont les riverains, les voisins leur ont interdit de s'installer là où ils voulaient serait chez nous complètement impossible. Non que tous auraient été heureux de recevoir une personnalité qui attire la foule des photographes, mais jamais, sauf peut-être dans quelque village reculé, aurait-on vu des propriétaires s'opposer avec autant de fermeté et de manière aussi unanime à l'installation à coté de chez eux d'une célébrité sulfureuse. Cela me fait penser à ces rideaux qui se soulèvent légèrement dans les petites villes de province lorsque passe un étranger dans la rue. On parle beaucoup de liberté aux Etats-Unis, on a là un exemple assez éclairant de tout le contraire, du contrôle extrêmement tatillon que la société peut y exercer sur les individus. Disons, pour rester simple, que cette affaire révèle combien nos conceptions de la liberté peuvent être différentes.
PS Dans ce même billet Arthur Goldhammer s'interroge sur le rôle dans la popularité de DSK de ses conseillers en communication. C'est une excellente question que je ne crois avoir vu posée ailleurs. Et si DSK avait été, comme tous ces candidats dont tout le monde veut plusieurs mois avant le choix d'un bulletin, une construction fantasmatique?
4 commentaires:
Vous avez raison, la force de ma réaction a pu être excessive, mais cette réaction n'était pas spécifiquement américaine. En fait, avant d'écrire mon post, j'ai le sur Facebook le commentaire de Jean Quatremer, lui aussi participant dans le débat. Il a décrit l'intervention de Finkielkraut comme "un naufrage."
Autre remarque: la difficulté que rencontraient les Strauss-Kahn à trouver un appartement tient à une particularité de la propriété à New York City. La plupart des appartements de luxe sont tenus en "co-op," ce qui signifie que 1) les habitants d'un immeuble ne sont pas locataires mais propríétaires et 2) ils n'ont pas le droit de disposer de leur propriété à leur gré. Tous sont sujets à un conseil d'immeuble qui a droit de véto sur toute vente ou utilisation éventuelles de chaque appartement. Les habitants de l'immeuble ne sont donc pas de simples voisins mais des parties à un contrat avec des droits spécifiques. Ce n'est pas le cas dans un immeuble de moindre "standing," où les habitants seraient locataires. Ce n'est pas le cas non plus quand on achète une maison comme celle où les Strauss-Kahn sont logés maintenant. Il est fort probable que leurs voisins actuels sont aussi réticents à les accueillir que ceux qui avaient précedemment refusé de leur céder l'appartement, mais ils n'ont pas les moyens légaux d'empêcher cet achat. En fait, d'autres acheteurs de renommée se sont vus rejeter par le conseil d'un co-op, y compris des vedettes de Hollywood ou des dealers de Wall Street.
Je le sais bien, c'est une affaire de droit de propriété, reste que ce système conforte le contrôle des voisins sur les comportements de chacun, ce que je voulais montrer et qui me parait une caractéristique de ce que l'on appelait chez Balzac le provincialisme.
Ah, Balzac sur New York: je rêve du roman qui reste à écrire! Troisième et dernière remarque: en ce qui concerne Peillon, j'ai lu aussi sur Facebook un commentaire du politologue français Laurent Bouvet, qui disait que le commentaire de Peillon démontrait pourquoi le PS mérite de rester dans l'opposition pour 20 ans encore. Je crois que les réponses de Quatremer et de Bouvet servent donc de relativiser votre sens que les appréciations de cette affaire se partagent sur lignes nationales.
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