Les deux affaires Polanski-Mitterrand traitent en réalité du même sujet : de ce qui est acceptable ou pas dans nos comportements sexuels. Que le débat ait été si vif, qu'il ait opposé, front contre front, des gens de génération différente, montre qu'il s'agit de bien autre chose que d'une affaire de politique. Il y avait en jeu, derrière, toute la question de la norme en matière de comportements sexuels.
Celle-ci a profondément changé ces dernières années, comme je l'ai montré dans Pourquoi tant de pornographie sur le net?
La pornographie qui était hier encore interdite, censurée, est devenue objet de consommation courante. L'homosexualité est à ce point acceptée que les politiques ne s'en cachent plus. On parle librement de l'adoption d'enfants par les homosexuels. Les lesbiennes, hier encore invisibles ne se cachent plus.
La nouvelle frontière est devenue l'enfance et ce qui va avec (l'inceste et violence). S'il y a une chose qui est censurée, devenue proprement inadmissible, ce sont les relations entre un adulte et un enfant qui ne peut, dit la nouvelle norme, jamais être consentant, qui est donc forcément forcé, violé.
Cette nouvelle norme ne fait pas vraiment problème, nul ne s'y oppose, sinon peut-être dans la clandestinité. Mais elle est récente, très récente. Et cela a pour conséquence :
- que l'on trouve assez facilement dans les textes littéraires, chez Gide, Proust, Pierre Louys, Montherlant bien plus que chez Frédéric Mitterrand, des allusions à des amours pédophiles,
- que certains qui ont vécu avant que cette norme ne s'impose peuvent avoir tenu (comme Cohn-Bendit ou Frédéric Mitterrand) des propos équivoques.
Ce débat devrait renforcer cette nouvelle norme, contribuer à la rendre plus visible et surtout mieux partagée. Après tout, Polanski, bien loin de se justifier, s'est surtout excusé. Même chose pour Frédéric Mitterrand dont le texte est surtout une longue plainte (qui ne traite pas d'amours pédophiles mais d'amours tarifés qui ne vont jamais sans une certaine violence).
Chaque fois qu'une nouvelle norme émerge, se pose la même question : que faire de ceux qui ont exprimé dans le passé une norme différente? Faut-il les interdire, les censurer?
La question vaut surtout pour les grands textes littéraires. Je doute que l'on expurge Gide ou Proust. Jamais on n'a, à ma connaissance, censuré Aristote pour ses analyses de l'homosexualité présentée dans Politiques (II, 9, 1269b) comme une manière d'éviter le pouvoir des femmes dans les sociétés militaristes. Il en ira de même pour nos écrivains.
Pour les contemporains qui ont tenu des propos équivoques, les choses sont certainement plus compliquées. Ils n'ont d'autre choix que de contribuer à renforcer cette norme par leurs excuses et de s'en faire les meilleurs propagandistes. Au prix d'une mauvaise conscience lourde à porter et de quelques reniements qui ne sont pas sans conséquences : penser que des enfants ne peuvent être consentants, c'est leur enlever un peu de leur liberté et les renvoyer dans cette zone incertaine où les mettait déjà Aristote lorsqu'il leur retirait la faculté délibératrice. Tout le débat sur les valeurs de 1968 dont parle Bayrou porte, en fait, là-dessus.
3 commentaires:
Vous dites "penser que des enfants ne peuvent être consentants, c'est leur enlever un peu de leur liberté"
Tous les enfants qui ont vécu un acte de ce type, vous diront qu'ils étaient incapables de réagir, en état de torpeur...
ils ne disent pas oui...
Ils n'ont pas les mots, il n'ont pas le référentiel...
C'est une bascule dans l'inconnu et on n'a pas le droit de leur imposer cela.
Tous ceux qui l'ont vécu ne disent ni oui ni non.
Et ils témoignent qu'ils n'ont pas dit non car ils en étaient incapables tant la situation les déroutait.
Aujourd'hui : La fille qui est violée après qu'ont lui ait fait absorbé une drogue, ne dit pas "NON" clairement... donc elle est consentante....
C'est un vrai manque de prise en compte des personnes que de raisonner ainsi.
Aujourd'hui on condamne le viol s'il y a eu un vrai "NON" de la victime.
Il faudrait condamner le viol dès l'absence d'un vrai "OUI" !
Les enfants ne peuvent pas avoir de liberté dans un domaine qu'ils n'ont pas encore construit.
Et c'est au regard des séquelles sur ces enfants qui ont grandi que les "normes" se construisent !
Quand la petite fille de 2 ans monte sur le lit et joue avec le zizi du papa, c'est au père de dire NON !
Elle n'est pas consentante, elle n'a pas à avoir de "liberté" dans ce domaine.
Si le père ne dit pas "NON", La suite nous prouvera qu'elle est bel et bien victime.
Vos arguments sont sensés, ceci étant dit, deux remarques : il est vrai que la sociologie de la pédophilie a évolué depuis l'antiquité, y compris même au 20ème siècle, que le regard de l'écrivain des années 30 ne peut être le même que celui de l'auteur contemporain. Mais attention à mon sens : on peut éventuellement admettre que la norme en vigueur dans les années 70 pouvait permettre de comprendre la "licence intellectualisée" de Cohn Bendit, ce qui n'est personnellement pas mon cas. Ce serait plus difficile avec Frédéric Mitterand s'il s'agissait de pédophilie et non d'homosexualité et de prostitution car que je sache, son texte est écrit en 2005.
Deuxième remarque, le relativisme chronologique et historique est dangereux, car comme chaque époque a eu son propre regard sur la sexualité dans ses diverses formes, chaque époque a eu ses spécificités culturelles en général : et pour autant, même si l'on admet que l'ambiance spéciste et raciste du darwinisme et consors de la fin du 19ème et 20ème a influencé la société "occidentale", doit on admettre les poussées d'antisémitisme de l'époque, cette fois-ci étayées par un discours rationnel et pseudo scientifique et relayées par quelques un des plus grands écrivains ?
En réalité, le débat n'a pas lieu d'être, mai 68 n'étant rien de plus qu'un courant d'air.
Vous le mentionnez : il y a en effet redéfinition d'une norme. Mais en réalité, il s'agit de l'ultime limite. Connaissez-vous ne serait-ce qu'une seule civilisation valorisant l'inceste et la pédophile ? Pas moi en tout cas. Pourquoi ? Car là nous touchons au Mal contre nature.
Quoiqu'il en soit, le consensus scientifique est clair. Mais rien que l'idée de vouloir prouver par l'expérience que des enfants abusés vont bien est abjecte.
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