On entend régulièrement dire, à gauche, pour le regretter, que Hollande va manquer sa chance de devenir un nouveau Roosevelt, suggérant par là qu'il pourrait être, à l'instar du Président américain, celui qui nous sort de la récession et nous oriente dans la voie d'une nouvelle phase de croissance.
J'imagine qu'il le voudrait bien lui-même, mais il ne le pourra pas. Tout bêtement, et tout trait personnel mis à part, parce qu'il ne dispose pas de ce qui a autorisé Roosevelt à devenir le sauveur de l'Amérique : un projet économique alternatif imaginé par des industriels progressistes, porté par le soutien populaire et par une partie non négligeable du grand capitalisme moderne.
A la fin des années vingt, quelques industriels progressistes ont développé aux Etats-Unis ce qu'on a appelé le nouveau capitalisme ou le "corporate liberalism", mélange de paternalisme à l'américaine (welfare capitalism) et de défense des intérêts des industriels spécialisés dans la production de masse de produits de grande consommation (General Electric, Kodak, Filene…). Ce programme a fait l'objet d'une synthèse réalisée par l'un des dirigeants de General Electric, Gerard Swope. Le Swope Plan, présenté au tout début des années trente, prévoyait notamment la création d'assurances contre le chômage, les accidents industriels et la vieillesse, la standardisation des méthodes comptables et transparence de la comptabilité des entreprises (pour rassurer les actionnaires), la mise en place d'ententes industrielles qui mettent entre parenthèses les lois anti-concentration que certains jugent aujourd'hui responsables du krach boursier.
Ce programme et ses idées ont alors fait l'objet de nombreux débats dans la société américaine, débats souvent animés par des industriels comme Edward Filene. Ce propriétaire d'une chaine de grands magasins multipliait les conférences dans lesquelles il expliquait que l'on ne sortirait de la crise qu'en transformant les travailleurs en consommateurs, ce qui supposait d'augmenter les salaires dans toute l'industrie (d'où l'idée d'un salaire minimum obligatoire) et de réduire le temps de travail (un salarié qui travaille 16 heures et dort 8 heures n'a pas une minute pour consommer).
Ce programme n'avait rien de philanthropique (il s'agissait pour ses industriels d'élargir leur marché, de fidéliser et stabiliser leur personnel, de se protéger de la concurrence et de se libérer des lois antitrust qui freinaient leur croissance) mais il ne pouvait que sourire aux salariés. Et, de fait, la gauche lui a trouvé des vertus même si ces industriels envisageaient une organisation de tout cela par profession dans un esprit proche des corporations qui leur a valudes accusations de fascisme, de la part notamment de Hoover.
Soutenu par des industriels puissants et par de larges pans de l'opinion (le nombre de salariés avait explosé aux Etats-Unis dans les années précédant la crise), le plan Swope a servi de matrice aux premières mesures prise par l'administration Roosevelt : création de la National Recovery Administration et 1933 (abrogé par la cour suprême deux ans plus tard) et de la sécurité sociale en 1935. Ces institutions étaient ostensiblement soutenues par des segments importants du patronat puisque plusieurs industriels importants comme Pierre du Pont ou Myron C.Taylor furent conseillers du NRA. Dans les années qui ont suivi, ces mêmes industriels se sont opposés à une partie de la politique de Roosevelt (notamment au Wagner Act qui, après l'abrogation de la NRA, en reprit la plupart des mesures y ajoutant des dispositions favorisant les syndicats) mais le mouvement était lancé.
Roosevelt avait donc un programme élaboré susceptible de satisfaire les travailleurs et des soutiens dans le grand capital. Ce qui lui donnait la force politique et la base sociologique pour conduire le changement. François Hollande n'a rien de tout cela : on ne voit nulle part de grands industriels proposer des programmes qui permettraient de réaliser la transition vers un nouveau modèle de croissance. Ceux qui pourraient être susceptibles de le faire, spécialistes des nouvelles technologies, inventeurs des nouveaux marchés (ce qu'étaient dans les années vingt, Filene, les dirigents de GE, de Kodak…) sont mondialisés et basés bien loin de Paris. Et on ne voit pas la base sociologique qui pourrait l'aider à porter ce programme.
François Hollande ne sera pas, pour ces motifs, un nouveau Roosevelt. Dommage. Cela aurait eu plus d'allure que de devenir un nouveau Schröder.
J'imagine qu'il le voudrait bien lui-même, mais il ne le pourra pas. Tout bêtement, et tout trait personnel mis à part, parce qu'il ne dispose pas de ce qui a autorisé Roosevelt à devenir le sauveur de l'Amérique : un projet économique alternatif imaginé par des industriels progressistes, porté par le soutien populaire et par une partie non négligeable du grand capitalisme moderne.
A la fin des années vingt, quelques industriels progressistes ont développé aux Etats-Unis ce qu'on a appelé le nouveau capitalisme ou le "corporate liberalism", mélange de paternalisme à l'américaine (welfare capitalism) et de défense des intérêts des industriels spécialisés dans la production de masse de produits de grande consommation (General Electric, Kodak, Filene…). Ce programme a fait l'objet d'une synthèse réalisée par l'un des dirigeants de General Electric, Gerard Swope. Le Swope Plan, présenté au tout début des années trente, prévoyait notamment la création d'assurances contre le chômage, les accidents industriels et la vieillesse, la standardisation des méthodes comptables et transparence de la comptabilité des entreprises (pour rassurer les actionnaires), la mise en place d'ententes industrielles qui mettent entre parenthèses les lois anti-concentration que certains jugent aujourd'hui responsables du krach boursier.
Ce programme et ses idées ont alors fait l'objet de nombreux débats dans la société américaine, débats souvent animés par des industriels comme Edward Filene. Ce propriétaire d'une chaine de grands magasins multipliait les conférences dans lesquelles il expliquait que l'on ne sortirait de la crise qu'en transformant les travailleurs en consommateurs, ce qui supposait d'augmenter les salaires dans toute l'industrie (d'où l'idée d'un salaire minimum obligatoire) et de réduire le temps de travail (un salarié qui travaille 16 heures et dort 8 heures n'a pas une minute pour consommer).
Ce programme n'avait rien de philanthropique (il s'agissait pour ses industriels d'élargir leur marché, de fidéliser et stabiliser leur personnel, de se protéger de la concurrence et de se libérer des lois antitrust qui freinaient leur croissance) mais il ne pouvait que sourire aux salariés. Et, de fait, la gauche lui a trouvé des vertus même si ces industriels envisageaient une organisation de tout cela par profession dans un esprit proche des corporations qui leur a valudes accusations de fascisme, de la part notamment de Hoover.
Soutenu par des industriels puissants et par de larges pans de l'opinion (le nombre de salariés avait explosé aux Etats-Unis dans les années précédant la crise), le plan Swope a servi de matrice aux premières mesures prise par l'administration Roosevelt : création de la National Recovery Administration et 1933 (abrogé par la cour suprême deux ans plus tard) et de la sécurité sociale en 1935. Ces institutions étaient ostensiblement soutenues par des segments importants du patronat puisque plusieurs industriels importants comme Pierre du Pont ou Myron C.Taylor furent conseillers du NRA. Dans les années qui ont suivi, ces mêmes industriels se sont opposés à une partie de la politique de Roosevelt (notamment au Wagner Act qui, après l'abrogation de la NRA, en reprit la plupart des mesures y ajoutant des dispositions favorisant les syndicats) mais le mouvement était lancé.
Roosevelt avait donc un programme élaboré susceptible de satisfaire les travailleurs et des soutiens dans le grand capital. Ce qui lui donnait la force politique et la base sociologique pour conduire le changement. François Hollande n'a rien de tout cela : on ne voit nulle part de grands industriels proposer des programmes qui permettraient de réaliser la transition vers un nouveau modèle de croissance. Ceux qui pourraient être susceptibles de le faire, spécialistes des nouvelles technologies, inventeurs des nouveaux marchés (ce qu'étaient dans les années vingt, Filene, les dirigents de GE, de Kodak…) sont mondialisés et basés bien loin de Paris. Et on ne voit pas la base sociologique qui pourrait l'aider à porter ce programme.
François Hollande ne sera pas, pour ces motifs, un nouveau Roosevelt. Dommage. Cela aurait eu plus d'allure que de devenir un nouveau Schröder.
1 commentaire:
Cette comparaison est tout a fait bien expliquée, et donne un peu de vie à cette expression tellement entendue, le "nouveau Roosevelt".
Qui imagine ce que ferait un Roosevelt dans ce monde si globalisé, ou tant de coups sont permis?
Comment garder un monde à la mesure de l'homme?
Qui incarne cet homme providentiel, et y en a-t-il un?Aube
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