Arthur Goldhammer, cet Américain qui écrit chaque jour sur l'actualité française avec autant de talent que d'alacrité, s'en prend dans ce billet (Gouverner c'est choisir, manifester c'est esquiver) aux remarques de Thierry Desjardins, autre bloggeur remarquable pour sa production, sur la réforme des retraites. Sur le fond, Goldhammer ne fait que souligner quelques unes des contradictions d'un antisarkozyste de droite qui critique une réforme qu'il aurait approuvée si elle avait été menée par quelqu'un d'autre avec un peu plus de… souplesse.
Cet échange me parait cependant souligner combien la réaction des Français à cette réforme est mal comprise à l'étranger, même par ceux qui connaissent le mieux notre société et l'observent avec le regard le plus bienveillant.
Si cette réforme suscite autant d'opposition alors même, et c'est nouveau, que tous les acteurs sont convaincus de la nécessité de faire évoluer le système, c'est pour, je crois, quatre motifs :
- cette réforme est profondément injuste, et tout le monde le sent. Cette injustice ne concerne pas seulement ceux qui ont commencé de travailler tôt, comme on l'a dit et répété. Elle touche également les femmes, ceux qui ont des carrières chahutées, ceux qui perdent leur travail en fin de carrière, ceux qui travaillent dans des petites entreprises ou dans des secteurs en déclin (sur ces injustices, voir cette chronique que j'ai donnée à AligreFM) ;
- la manière dont cette réforme a été menée passe outre les organisations syndicales qui gèrent les caisses de retraite et dont c'est, dans un système dans lequel ils ont peu de militants, l'un des rares points forts. La méthode est caractéristique de la façon dont Sarkozy gouverne en négligeant les corps intermédiaires, en arguant de sa légitimité de Président pour trancher dans des domaines qui ne relèvent pas de ses compétences. L'alliance sans faille d'organisations syndicales qui ont plutôt l'habitude de se chamailler vient, pour beaucoup, de là : c'est leur rôle dans le champ social et politique qui se joue ;
- cette réforme ne dit rien de la question centrale : celle de l'emploi et de la croissance sans création d'emplois que nous connaissons depuis quelques années. Si le chômage était plus faible, la question des retraites ne se poserait pas de manière aussi crue, chacun le sait. Or, cette réforme n'en dit rien. J'ajouterai que c'est une question qui ne concerne pas que la France. Il suffit de comparer les courbes de chômage et les gains de productivité aux Etats-Unis, ces derniers mois, pour voir qu'eux aussi viennent, bien après nous, de découvrir ce que voulait dire une croissance sans création d'emplois ;
- cette réforme n'est pas seulement l'abandon d'une vraie conquête sociale (il faut se souvenir que la retraite à soixante ans était la première revendication des organisations syndicales dans les années 70), c'est aussi une menace pour tous ceux qui arrivent à la fin de leur carrière professionnelle fatigués et sans espoir d'un emploi durable. Que les Britanniques (pour combien de temps?) ou les Américains l'acceptent mieux ne veut certainement pas dire que les Français ont tort de protester.
1 commentaire:
Excellent, merci - tout en pensant aussi beaucoup de bien du billet d'Art! Car Thierry Desjardins me semble plus près du comportement que critique Art, que de l'argumentaire que vous défendez brillamment ici.
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