lundi, janvier 30, 2012

Sur la guerre contre la finance

Dans son discours du Bourget François Hollande a dit vouloir interdire aux banques de traiter avec des paradis fiscaux ou des établissements situés dans ceux-ci. Ailleurs dans son discours il a dit (et répété, à plusieurs reprises depuis) que les grandes entreprises savaient comment échapper à l'impôt.

Le sujet est évidemment crucial, mais il en a si peu dit que l'on peut craindre que ses déclarations ne soient que paroles en l'air destinées à séduire le peuple de gauche alors même que là est l'une des clefs de cette guerre contre la finance qu'il annonce vouloir engager, bien plus sans doute que du coté des banques.

A-t-il pris la mesure du rôle que jouent les paradis fiscaux dans l'économie mondialisée, qui va bien au delà des seules banques, et de l'implication des grandes entreprises internationales ? Il faut, pour le faire, entrer dans le détail des politiques d'entreprise. Prenons Apple. Cette entreprise a des réserves de trésorerie considérables, supérieures à celles des Etats-Unis. Or, près des deux tiers de celles-ci (soit 64 Mds$) sont conservés à l'étranger pour éviter d'être taxé à 35% si elles étaient rapatriées aux Etats-Unis (si Apple rapatriait ses réserves aux Etats-Unis, elle verserait 22 Mds$ au fisc américain!). Combien les entreprises du CAC 40 conservent-elles ainsi à l'abri du fisc?

Comme l'expliquait il y a quelques années Alternatives Economiques, les paradis fiscaux sont un des piliers du capitalisme moderne. Les entreprises dont les produits sont mondiaux évitent de rapatrier leurs bénéfices, elles les stockent là où les taux d'imposition sont les plus faibles.

Et c'est de là qu'elles investissent dans les pays émergents : en 2008, les dix premières sources des investissements étrangers en Chine ont été Hong Kong, les Îles Vierges britanniques, Singapour, le Japon, la Corée du Sud, les Etats-Unis, puis les îles Caiman, les Samoa, Taïwan et Maurice. Les îles vierges britanniques ont plus investi en Chine que les Etats-Unis, les îles Caïman et Samoa plus que n'importe quelle économie européenne! C'est l'argent des impôts que les grandes entreprises ne paient pas aux pays dans lesquels elles opèrent ou dans ceux dont elles viennent qui servent à financer leurs délocalisations. Et ceci est vrai des grandes entreprises d'où qu'elles viennent. Beaucoup d'entreprises chinoises sont installées aux îles vierges britanniques pour ce motif.

Dans un registre voisin, Pak et ses coauteurs ont calculé, dans un article publié en 2003 que 4% du PIB grec était détourné et transféré à l'étranger pour échapper à l'impôt des sociétés. Quand on sait la sévérité de l'austérité imposée aux Grecs, on se dit qu'il y a là un dossier qui mériterait de plus longs développements.

Un certain nombre de mesures ont été prises dans le cadre du G20, sans grand effet, semble-t-il. Des régions françaises se sont également engagées dans la bataille, ce qui tend à prouver que cette guerre contre la finance n'est pas une invention de dernière minute. Mais avec quels résultats? Ce serait intéressant de le savoir. Pour ne prendre que cet exemple la majorité élue en Ile-de-France s'était engagée, en 2010, à la demande des Verts, à ce que la région ne fasse plus appel à des banques disposant de filiales dans les paradis fiscaux. Qu'en est-il aujourd'hui? "En Ile-de-France, d'après un communiqué d'Europe-Ecologie publié en juin 2011, cet engagement a déjà donné des résultats très probants. Ainsi fin 2010, le Crédit Foncier de France et la Caisse d’épargne et de prévoyance Ile-de-France Paris ont ainsi du apporter la preuve qu’ils n’étaient pas implantés dans les Etats ou Territoires non coopératifs. La Société Générale a d’ores et déjà assuré de fournir ces éléments durant l’année 2011. Cette exigence de transparence était essentielle dans ce processus de lutte contre les établissements financiers exerçant des activités dans des zones internationales de non-droit. Toutefois, certains éléments de « reporting » pays par pays se font encore attendre, signe de certaines résistances des institutions financières." C'était il y a sept mois. La campagne présidentielle pourrait être l'occasion de faire le bilan de ces premières escarmouches et de réfléchir à la meilleure manière d'étendre ces initiatives à d'autres secteurs que la banque.




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