Dans un article fouillé de Médiapart, Laurent Mauduit s’interroge sur ce qu’il appelle “l’énigme Hollande” que l’on peut résumer ainsi : de nombreux signes montrent que cet homme qui a tenu dans le passé des positions de gauche se strauss-kahnise en vue de l’élection présidentielle, au risque de ne pas réunir toute la gauche sur son nom.
Mauduit décèle cette droitisation dans toute une série de faits ténus, de prises de position dont il se demande, parfois, s’il s’agit bien de prises de position, d’allusions, de remarques courtoises sur Raymond Barre, de rapprochement avec des économistes qu’il qualifie un peu vite de réactionnaires, comme Gilbert Cette (qui a beaucoup travaillé sur les 35 heures et co-écrit un livre avec Dominique Taddei qui leur était plutôt favorable avant de conseiller Ségolène Royal), Jean-Paul Fitoussi (qui préside l’OFCE qui ne passe pas d’ordinaire pour une institution droitière). Bizarrement, il ne cite pas les propos de François Hollande sur l’autonomie du dialogue social qu’avait dénoncés Jean-Luc Mélenchon (voir pour une défense des positions de François Hollande sur ce sujet ici).
Les critiques de Mauduit sont intéressantes même si elles sont parfois tendancieuses. Il reproche, par exemple, à Gilbert Cette, dont il souligne la position à la Banque de France et qu’il qualifie “d’économiste réactionnaire”, d’avoir indiqué que l’augmentation du SMIC n’était pas une solution. On a à le lire vite l’impression que Cette veut casser le Smic. Ce n’est évidemment pas le cas. Sa thèse s’appuie sur des travaux qu’il a menés avec quelques autres (Cahuc, Zylberberg) qui s’interrogent sur la multiplication des travailleurs pauvres et montrent que leur pauvreté est moins liée au niveau du salaire minimum qu’à la précarité qui leur interdit de travailler tout au long de l’année. Est-ce réactionnaire d’en conclure que ce n’est pas en augmentant de manière automatique le Smic qu’on réduira le nombre de “working poors” ? En fait, Cette propose de modifier le mode de revalorisation du Smic pour corriger un de ses défauts : “dans certaines situations, écrit-il, l’application des règles de revalorisation automatique (hors coups de pouce) du SMIC, peuvent aboutir à une progression nominale de ce dernier plus forte que celle du salaire horaire brut ouvrier.” Ce qui peut “aboutir à une compression du bas de la dispersion des salaires et (…) à long terme (…) à un écrasement de la distribution des salaires.” Tout cela peut être discuté, mais de là à en faire une position réactionnaire et une attaque sans précédent contre le Smic, il y a plus qu’un pas.
Bizarrement, j’entendais hier une chroniqueuse reprocher de la même manière à Martine Aubry sa collaboration avec Daniel Cohen, économiste dont le grand tort serait d’avoir été qualifié de meilleur économiste de France par les Echos.
En toile de fond de ces critiques, il y a une double question : celle de la politique économique à mener dans les mois qui viennent et celle de la place des économistes dans notre vie politique. Ce sont aujourd’hui les intellectuels dominants. Ce sont eux, et plus les philosophes, qui conseillent le prince alors même que leur discipline s’est formidablement droitisée ces trente dernières années sous l’influence d’Hayek, de Friedman, de l’école de Chicago et de celle du Public Choice (sur ce sujet, voir Quand les économistes veulent enchaîner la démocratie).
L’exemple de ce qui se passe en Grèce, la montée en puissance du mouvement des indignés devraient rapidement inciter les candidats de gauche à freiner leur course à toujours plus d’austérité qui serait contre-productive (si plus d’austérité = des recettes fiscales plus faibles il y a peu de chance que l’on s’en tire). Martine Aubry qui a senti le danger insiste d’ores et déjà dans ses discours sur la nécessaire croissance. Et l’on peut imaginer que François Hollande fera bientôt de même.
Pour ce qui est de la position des économistes dans les équipes de campagne, si leur importance s’explique par la gravité de la crise, elle pose de nombreux problèmes :
- domination massive des universités américaines dans la discipline, ce qui conduit à des travaux qui s’appuient, pour l’essentiel, sur des données de la société nord-américaine dont les institutions et les fonctionnements sont très différents des nôtres,
- prédominance, au sein de la profession, de l’école néo-classique dont la responsabilité dans la crise est loin d’être mince,
- modèles économiques basés sur la théorie de l’agent rationnel qui n’est qu’une pale image des individus réels que nous sommes les uns et les autres et qui rend difficile la compréhension des phénomènes sociaux (je ne crois pas que les économistes aient des outils adéquats pour comprendre ce qui se passe, par exemple, dans les banlieues)
- absence (pour l’instant?) de théorie alternative qui permettrait de comprendre ce qui s’est produit en 2008, à l’image de ce que Keynes avait fait dans les années trente.
Rien de tout cela ne les disqualifie : ils ont leur place dans les équipes de campagne, ils donnent aux candidats une allure de sérieux qui ne peut que séduire dans la période actuelle, ils peuvent rassurer les marchés (la gauche, si elle arrive au pouvoir ne fera pas n’importe quoi), ils sont force de propositions, mais pas plus que la politique ne doit se faire à la Bourse, elle ne doit se faire dans les départements d’économie.
PS J'ai retrouvé dans un vieil article de Paul Krugman (il date de 1996) quelques éléments qui expliquent cette droitisation de l'économie : "Despite its centrality to political debate, economic research is a very low-budget affair. The entire annual economics budget at the National Science foundation is less than $20 million. What this means is that even a handful of wealthy cranks can support an impressive-looking array of think tanks, research institutes, foundations, and so on devoted to promoting an economic doctrine they like. (The role of a few key funders, like the Coors and Olin Foundations, in building an intellectual facade for late 20th-century conservatism is a story that somebody needs to write.) The economists these institutions can attract are not exactly the best and the brightest. Supply-side troubadour Jude Wanniski has lately been reduced to employing followers of Lyndon LaRouche. But who needs brilliant, or even competent, researchers when you already know all the answers?"
Mauduit décèle cette droitisation dans toute une série de faits ténus, de prises de position dont il se demande, parfois, s’il s’agit bien de prises de position, d’allusions, de remarques courtoises sur Raymond Barre, de rapprochement avec des économistes qu’il qualifie un peu vite de réactionnaires, comme Gilbert Cette (qui a beaucoup travaillé sur les 35 heures et co-écrit un livre avec Dominique Taddei qui leur était plutôt favorable avant de conseiller Ségolène Royal), Jean-Paul Fitoussi (qui préside l’OFCE qui ne passe pas d’ordinaire pour une institution droitière). Bizarrement, il ne cite pas les propos de François Hollande sur l’autonomie du dialogue social qu’avait dénoncés Jean-Luc Mélenchon (voir pour une défense des positions de François Hollande sur ce sujet ici).
Les critiques de Mauduit sont intéressantes même si elles sont parfois tendancieuses. Il reproche, par exemple, à Gilbert Cette, dont il souligne la position à la Banque de France et qu’il qualifie “d’économiste réactionnaire”, d’avoir indiqué que l’augmentation du SMIC n’était pas une solution. On a à le lire vite l’impression que Cette veut casser le Smic. Ce n’est évidemment pas le cas. Sa thèse s’appuie sur des travaux qu’il a menés avec quelques autres (Cahuc, Zylberberg) qui s’interrogent sur la multiplication des travailleurs pauvres et montrent que leur pauvreté est moins liée au niveau du salaire minimum qu’à la précarité qui leur interdit de travailler tout au long de l’année. Est-ce réactionnaire d’en conclure que ce n’est pas en augmentant de manière automatique le Smic qu’on réduira le nombre de “working poors” ? En fait, Cette propose de modifier le mode de revalorisation du Smic pour corriger un de ses défauts : “dans certaines situations, écrit-il, l’application des règles de revalorisation automatique (hors coups de pouce) du SMIC, peuvent aboutir à une progression nominale de ce dernier plus forte que celle du salaire horaire brut ouvrier.” Ce qui peut “aboutir à une compression du bas de la dispersion des salaires et (…) à long terme (…) à un écrasement de la distribution des salaires.” Tout cela peut être discuté, mais de là à en faire une position réactionnaire et une attaque sans précédent contre le Smic, il y a plus qu’un pas.
Bizarrement, j’entendais hier une chroniqueuse reprocher de la même manière à Martine Aubry sa collaboration avec Daniel Cohen, économiste dont le grand tort serait d’avoir été qualifié de meilleur économiste de France par les Echos.
En toile de fond de ces critiques, il y a une double question : celle de la politique économique à mener dans les mois qui viennent et celle de la place des économistes dans notre vie politique. Ce sont aujourd’hui les intellectuels dominants. Ce sont eux, et plus les philosophes, qui conseillent le prince alors même que leur discipline s’est formidablement droitisée ces trente dernières années sous l’influence d’Hayek, de Friedman, de l’école de Chicago et de celle du Public Choice (sur ce sujet, voir Quand les économistes veulent enchaîner la démocratie).
L’exemple de ce qui se passe en Grèce, la montée en puissance du mouvement des indignés devraient rapidement inciter les candidats de gauche à freiner leur course à toujours plus d’austérité qui serait contre-productive (si plus d’austérité = des recettes fiscales plus faibles il y a peu de chance que l’on s’en tire). Martine Aubry qui a senti le danger insiste d’ores et déjà dans ses discours sur la nécessaire croissance. Et l’on peut imaginer que François Hollande fera bientôt de même.
Pour ce qui est de la position des économistes dans les équipes de campagne, si leur importance s’explique par la gravité de la crise, elle pose de nombreux problèmes :
- domination massive des universités américaines dans la discipline, ce qui conduit à des travaux qui s’appuient, pour l’essentiel, sur des données de la société nord-américaine dont les institutions et les fonctionnements sont très différents des nôtres,
- prédominance, au sein de la profession, de l’école néo-classique dont la responsabilité dans la crise est loin d’être mince,
- modèles économiques basés sur la théorie de l’agent rationnel qui n’est qu’une pale image des individus réels que nous sommes les uns et les autres et qui rend difficile la compréhension des phénomènes sociaux (je ne crois pas que les économistes aient des outils adéquats pour comprendre ce qui se passe, par exemple, dans les banlieues)
- absence (pour l’instant?) de théorie alternative qui permettrait de comprendre ce qui s’est produit en 2008, à l’image de ce que Keynes avait fait dans les années trente.
Rien de tout cela ne les disqualifie : ils ont leur place dans les équipes de campagne, ils donnent aux candidats une allure de sérieux qui ne peut que séduire dans la période actuelle, ils peuvent rassurer les marchés (la gauche, si elle arrive au pouvoir ne fera pas n’importe quoi), ils sont force de propositions, mais pas plus que la politique ne doit se faire à la Bourse, elle ne doit se faire dans les départements d’économie.
PS J'ai retrouvé dans un vieil article de Paul Krugman (il date de 1996) quelques éléments qui expliquent cette droitisation de l'économie : "Despite its centrality to political debate, economic research is a very low-budget affair. The entire annual economics budget at the National Science foundation is less than $20 million. What this means is that even a handful of wealthy cranks can support an impressive-looking array of think tanks, research institutes, foundations, and so on devoted to promoting an economic doctrine they like. (The role of a few key funders, like the Coors and Olin Foundations, in building an intellectual facade for late 20th-century conservatism is a story that somebody needs to write.) The economists these institutions can attract are not exactly the best and the brightest. Supply-side troubadour Jude Wanniski has lately been reduced to employing followers of Lyndon LaRouche. But who needs brilliant, or even competent, researchers when you already know all the answers?"
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